Dans la tête d’Elton Munk : Ralph Vendôme est dans le cerveau d’un génie mégalo

Vous avez déjà eu peur de perdre vos clés ? Elton Munk, lui, a peur de perdre son intelligence. Normal : quand on a inventé la voiture électrique, rêvé de colonisé l’espace et commencer à envoyer ses propres fusées, révolutionné les paiements électroniques et qu’on s’est autoproclamé cerveau suprême de l’humanité, voir poindre l’ombre d’une idée « banale » suffit à provoquer une panique nucléaire.
C’est le point de départ du premier roman de Ralph Vendôme, Dans la tête d’Elton Munk. Moins de 200 pages, mais assez de satire et d’humour noir pour alimenter une centrale nucléaire (probablement conçue par Munk lui-même, d’ailleurs).

Un beau matin, Elton Munk se découvre vulnérable : et si son intelligence hors norme était en train de s’éroder ? Pire, et si elle se mettait à ressembler à celle du « commun des mortels » (nous, pauvres bipèdes scotchés à nos écrans) ? Effrayé par la perspective de devenir… con, il contacte son assureur préféré pour protéger ce qu’il a de plus précieux : son cerveau.
Quand on voit ce qu’il voit et entend ce qu’il entend, Elton Munk commence à avoir peur de penser ce qu’il pense.
Dans la tête d’Elton Munk – Ralph Vendômee – MEO Edition
L’assureur, pragmatique, l’envoie chez un psy. Et voilà notre mégalomane sur un divan, en pleine psychanalyse, à fouiller son enfance, ses obsessions, ses colères, sa mégalomanie et surtout son besoin maladif de tout contrôler — y compris le futur de l’humanité.
Ce roman n’est pas une biographie déguisée : c’est une farce, une caricature, mais tellement bien ficelée qu’on hésite parfois entre fiction et réalité. Ralph Vendôme croque son personnage avec férocité : colérique, visionnaire, égocentrique, prêt à résoudre les crises migratoires en installant des camps géants sur la banquise fondue, ou à sauver la planète en colonisant Mars. Des solutions « simples, efficaces »… et évidemment très rentables.

Mais au-delà de Munk, c’est toute notre société qui est visée. On rit (jaune) devant ce génie qui, comme nous, passe deux heures à checker les réactions sous ses posts. On sourit en découvrant qu’il partage finalement beaucoup de points communs avec la reine des influenceuses du roman, Irène Schwab, obsédée par ses followers. Elle craint de devenir intelligente, lui de devenir idiot : deux angoisses opposées, mais un même vide existentiel.
Avant de devenir Elton Munk, il était surnommé Monkey, petit singe, par ses copains, simple et facile déformation de son patronyme, un sobriquet, rien de méchant. Plutôt adapté à ce petit garçon éveillé et remuant, incapable de se taire ou d’écouter sans intervenir.
Dans la tête d’Elton Munk – Ralph Vendôme – MEO Edition
On pourrait croire à une farce pure et simple. Mais Ralph Vendôme ne se contente pas d’amuser : il interroge aussi.
Qu’est-ce qui nous définit ? Nos réussites ou nos likes ? Sommes-nous condamnés à nous réfugier dans nos certitudes, à n’écouter que ceux qui pensent comme nous ? Et surtout : que devient l’humanité quand l’intelligence artificielle, dopée à la vanité humaine, devient le miroir de nos obsessions ?
Ce roman, écrit avant les récents virages politiques d’Elon Musk (pardon : Elton Munk), prend presque des allures de prophétie. L’auteur avait vu juste : l’homme le plus puissant du monde est peut-être moins un génie qu’un symptôme.
En gros, une intelligence préserve des conneries. Mais la connerie est la chose la mieux partagée au monde, elle n’a ni race, ni religion, ni sexe. Tôt ou tard elle s’immisce dans nos pensées, et pollue nos réflexions. Quand on se sent menacé dans nos libertés, quand le monde nous paraît incertain, on se replie sur nous-mêmes et on n’écoute plus que les gens qui pensent comme nous. On manque de discernement.
Dans la tête d’Elton Munk – Ralph Vendôme – MEO Edition
Dans la tête d’Elton Munk est un roman drôle, corrosif, malin. Une petite bombe littéraire qui se lit vite mais laisse des traces : un mélange de satire grinçante et de philosophie de comptoir dopée aux fusées interstellaires.
En sortant de cette lecture, on se demande surtout : est-ce qu’on devrait, nous aussi, assurer ce qu’il nous reste de neurones… ou juste désinstaller Instagram ?