Je ne suis pas influenceur, je suis un lecteur passionné. Nuance.

Il y a peu, on m’a contacté pour me dire qu’un auteur cherchait un influenceur littéraire pour parler de son roman.
J’ai relu le message deux fois. Moi, influenceur ? Moi qui suis pas à la course au like, j’ai presque ri.
Autant dire que je ne me suis pas senti concerné, et je l’ai expliqué à l’auteur à qui ça allait bien !

Parce que non, je ne vous dis pas quoi lire. Je ne vous supplie pas d’acheter un bouquin. Je ne vous promets pas une expérience toutes les deux semaines.
Je ne suis pas influenceur. Je suis, au mieux, un facilitateur. Un lecteur qui tend la main. Un passeur d’émotion, quand il y en a une.
Et là, j’ai pris conscience d’un truc.
Ce n’est pas moi qui ai changé. C’est le paysage littéraire. Les médias. Les usages. Le livre, aujourd’hui, n’est plus seulement un objet de lecture : c’est devenu un objet de contenu.
Faut que ça crée de l’engagement parce qu’un livre dont on parle beaucoup, aura plus de chance d’être lu ! Même si il crée la polémique.

Il fut un temps, pas si lointain, où l’on parlait d’un livre comme on parlerait d’un ami : avec sincérité, maladresse parfois, mais toujours avec cette envie naïve de le faire découvrir à d’autres.
Aujourd’hui ? On en parle parfois comme d’un tube de mascara. Code promos en moins, mais ego en plus.
Et si le retour ne fait pas assez de like ou est différent des autres…ça pose problème. Parce que ne pas aimer un livre populaire devient même…incompréhensible !
Bienvenue dans l’ère du contenu littéraire 2.0, où les mots sont hashtagés, les émotions calibrées, et les lectures… parfois sponsorisées.
Un monde où recevoir un SP (Service Presse) est devenu normal, une sorte de diplôme auto-attribué qui permet d’affirmer fièrement : « Je suis influenceur littéraire. »
Alors que, même aujourd’hui, recevoir un SP, est un cadeau, une confiance… pas une attente ou une normalité !
Oui, oui, influenceur littéraire. Etre payé pour parler de livres…ce qui, à mon sens, vient déjà biaisé son retour.
Deux mots qui n’allaient pas ensemble il y a dix ans. Aujourd’hui, c’est un métier pour certain (Mademoiselle Lit, Livraison de mots…). Et un fantasme pour d’autre : celui d’être vu, reconnu, approché par des maisons d’édition comme d’autres rêvent d’être repérés par Netflix. Etre en salon et être reconnu par les maisons d’éditions, auteurs et surtout lecteurs est tellement attendu !
La lecture n’est plus un plaisir, c’est un tremplin…. et ça ne me va pas !

Instagram, TikTok, YouTube Shorts… Tout est bon pour mettre en scène sa « passion » des livres. Le roman est accessoire, tant qu’il matche avec le feed. Une chronique de dix secondes, un ralenti sur une couverture, une phrase impactante , et hop, on appelle ça une « recommandations ».
Mais recommande-t-on encore… ou s’auto-met-on en vitrine ?
Le vrai tournant ? C’est que les jeunes générations assument leur ambition : elles veulent être vues, écoutées, rémunérées. Elles l’assument.
Là où les anciennes jouaient la carte de la discrétion, les nouvelles crient :
« Moi aussi je veux ma place, moi aussi je veux des livres gratuits, moi aussi je veux être invitée au salon du livre, badge autour du cou , à bat la presse et les critiques des journaux, mon compte booktok (TikTok)/ Bookstagram (Instagram)/BookBook (FaceBook?) est mieux que tout . »

Et tu sais quoi ? Ce n’est pas un crime. Ce n’est même pas le problème.
Le vrai souci, c’est qu’on ne sait plus pourquoi on parle d’un livre. Et si on ne sait plus, la raison n’est pas la bonne!
Et pourtant, paradoxalement, ça fait tourner le monde du livre et lui fait du bien !
Avant, sur les blogs comme Mes lectures du dimanche, Gruznamur, le coin lecture de Nath, les livres de K79 ou MuseManiaBooks (et plein d’autres) on partageait par envie pure. Pas besoin de transmettre une grille tarifaire de lecture à l’auteur/maison d’édition. On écrivait long, on écrivait court parfois maladroitement, mais c’était habité.
Aujourd’hui, certains « scannent » un livre pour pouvoir poster. Parce que le SP suivant est déjà là. Parce que le Reel du lundi est attendu. Parce qu’il faut nourrir l’algorithme….et parfois sans lire le livre, mais en demandant quelque chose en échange.
Est-ce encore fait avec qualité, réflexion et vérité ?
Et pourtant… ce n’est pas une guerre de générations . A mon sens, c’est une confusion des intentions.

Les anciens lisent parfois par habitude, les nouveaux pour performer.
Les premiers parlent d’intimité, les seconds parlent de visibilité.
Mais dans ce brouhaha de likes, de reels et de chroniques chronométrées… le livre, lui, tente toujours de se faire entendre.
Mais peut-on encore entendre un livre entre deux jingles TikTok ?
Peut-on vraiment digérer un roman quand on enchaîne trois chroniques par semaine pour ne pas perdre le fil de son feed ?
Ce n’est pas qu’une question de forme.
C’est une crise de fond.
On lit. Oui.
Mais pour quoi ? Pour qui ? Pour combien de likes ? Et ça devient un drame si les abonnés partent…
Comme le disent certains, j’ai l’impression de devenir un vieux con !
Un conseil : si tu veux vraiment devenir influenceur littéraire commence par lire.
Râle. Prends ton temps. recommence le chapitre que tu n’a pas compris.
Écris quand ça vibre. Tais-toi quand ça sonne creux.
Dis ce qui t’a bousculé, ce que tu n’as pas compris, ce que tu n’as pas aimé aussi.

Ne fais pas semblant.
Le lecteur que tu étais, celui qui lisait sous la couette à la lampe torche,
il mérite mieux que des phrases vides et des cœurs automatiques.
Le vrai pouvoir, ce n’est pas de recevoir vingt SP par mois.
C’est de faire naître une envie de lecture chez quelqu’un qui ne lit pas encore.
Alors… tu es là pour parler des livres ?
Ou pour qu’on parle de toi grâce aux livres ?
dis moi tout en commentaire.
Comments (3)
Bruno Dinant
02/08/2025 at 17:42
J’adore ce « coup de gueule » intelligent qui remet bien des choses à leur place. L’expression même « influenceur littéraire » n’a guère de sens, sinon à faire croire que le livre est un vulgaire objet de consommation dont on peut vanter l’arôme et la marque. C’est tellement plus que ça! C’est le seul objet au monde qui dégage une saveur différente pour chaque lecteur qui s’en saisit et plonge dans ses pages, c’est le seul bien qui ne se consomme pas, parce que tu peux le parcourir mille fois, le dévorer même, sans en arracher la moindre miette. Il reste entier, et après t’en être nourri de longues heures, tu peux le refiler à un ami qui s’en nourrira à son tour, y respirant d’autres parfums que ceux qui t’ont chatouillé si agréablement les narines. Tu n’as pas besoin de lui dire, à ton ami, ce qu’il doit y trouver. Il trouvera de lui-même, il tournera les pages à un autre rythme que le tien, s’arrêtera plus longuement sur d’autres passages, s’éprendra d’autres personnages. On ne peut jamais influencer une âme qui lit, parce que ce cœur à cœur entre écrivain et lecteur ouvre un jardin secret dans lequel on se glisse avec délectation, à l’écart de la foule et des projecteurs. On veut juste s’y arrêter, s’en délecter, prendre plaisir à cette intimité retrouvée, parce qu’un autre vous a livré un peu de la sienne. Sans faire de bruit, pour ne pas rompre la magie du moment.
lebelgequilit.com
02/08/2025 at 17:47
J’aime beaucoup ta réponse 😅
C’est exactement ça !
Nath – Mes Lectures du Dimanche
03/08/2025 at 07:12
Merci pour cet article ! Oui, on sent bien une vraie évolution dans la manière d’aimer ou de parler des livres. Je suis dépassée, je suis une vieille conne ? Peut-être, mais je suis celle que j’étais en commençant et je compte bien le rester 🙃. Personnellement, je fais toujours la danse de la joie quand je reçois un SP tant je suis à la fois heureuse et touchée, et surtout, le bonheur ultime, c’est quand quelqu’un me dit avoir adoré un livre suite à mon retour. Un retour subjectif, toujours, parce que, comme tu l’expliques, quand on aime lire, vraiment lire, on lit avec nos tripes, on vit le livre, on le ressent, et ensuite on partage nos émotions. Heureusement, le « public » blog est largement différent de celui des réseaux et par ici, il y a toujours de vrais lecteurs passionnés, plein d’échanges et des articles avec beaucoup de mots et peu d’image 😉. Peut-être qu’on devient trop vieux pour ces conneries, hein, Roger ? Mais tant qu’on y prend plaisir, on s’en fout, non ?